Jean-Pierre SARTHOU
Ingénieur agronome
Maître de
Conférences en Agro-écologie et Entomologie
Je
soutiens sans réserve aucune la filière (non assujettie à la TIPP) de l'huile
de tournesol brute comme carburant pour les moteurs Diesel à injection indirecte,
car aucun argumentaire valable, objectif ni recevable n'existe pour tenir une
position contraire.
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Sur
un plan technique, le procédé est maintenant parfaitement au point, et ce à
moindre coût, si l'on s'assure de respecter quelques conditions de base comme
(i) une trituration des graines de tournesol à froid et pas trop importante
pour obtenir une huile fluide même à températures négatives (les plus grosses
molécules d'acides gras, à savoir les phospholipides, qui figent par temps
froid, restent ainsi en très grande majorité dans les résidus secs appelés
tourteaux), (ii) une filtration de l'huile à 5 microns grâce à des filtres à
vin, (iii) la présence ou l'installation d'une pompe à injection supportant la
viscosité accrue de l'huile par rapport au gas-oil (la marque la plus
couramment installée en série est justement la meilleure sur ce plan), (iv) le
simple tarage des injecteurs à 190 bars si l'on désire rouler à l'huile pure ou
avec un mélange au-delà de 50% d'huile dans le gas-oil.
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Sur
un plan mécanique et pour avoir personnellement effectué quelque 7000 km à
l'huile (en mélange à 50%) avec une Peugeot 205, j'ai pu constater que la
conduite est nettement plus souple car le couple du moteur est amélioré (i.e.
la restitution de l'énergie dégagée lors de l'explosion) du fait de la
combustion plus lente de l'huile, qui accompagne ainsi plus longtemps les
pistons dans leur course. Ainsi, même si l'huile est plus pauvre en énergie que
le gas-oil, d'environ 3 à 5%, cela n'est nullement ressenti à la conduite du
fait de cette amélioration du couple.
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Sur
un plan économique, il est aujourd'hui évident et de mieux en mieux compris,
qu'il faut créer de la plus-value et des emplois localement, pour maintenir un
tissu socio-économique dense dans les zones rurales à l'écart des activités
économiques dominantes. Ceci est d"autant plus vrai que la TIPP que l'Etat
pourrait récupérer sur la vente d'huile provenant de petites unités de
trituration (argent qui transiterait dans les arcanes administratifs de l'Etat
dont il servirait au passage à lubrifier les rouages dispendieux),
représenterait une richesse moindre que celle résultant de la création
d'emplois et de plus-values locales.
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Sur
un plan écologique, chacun sait aujourd'hui, les scientifiques comme le grand
public, que le réchauffement de la planète est accéléré par certains polluants
gazeux issus des activités humaines. Le méthane (CH4), issu
naturellement de fermentations anaérobies et principalement des rizières et
panses de ruminants, en est un des principaux et possède effectivement un effet
de serre 12 fois plus important, intrinsèquement, que le gaz carbonique (CO2).
Toutefois ce dernier est rejeté en quantités infiniment plus importantes que le
méthane, et surtout d'une telle sorte qu'il se trouve en quantité toujours
croissante dans l'atmosphère années après années. La cause en est
l'exploitation des combustibles fossiles, comme le charbon, le gaz naturel et
le pétrole, dont le pouvoir énergétique provient des liaisons unissant les
atomes de carbone et d'hydrogène, et dont la combustion par toutes nos
activités industrielles et de transport, dégage des volumes colossaux de gaz
carbonique. Le principe du pouvoir énergétique des huiles végétales carburants
est strictement le même, à savoir ces liaisons entre atomes de carbone et
d'hydrogène. Mais, alors que dans ces dernières l'atome de carbone, qui est
libéré dans l'air ici aussi sous forme de CO2 quand elles sont
brûlées, se trouvait déjà dans l'atmosphère quelques mois auparavant et
également sous forme de CO2 (jusqu'à ce que la plante utilise cette
molécule pour synthétiser ses propres réserves, en partie sous forme de
lipides), dans les combustibles fossiles l'atome de carbone libéré dans les
fumées d'échappement sous forme de CO2 (et de CO avec des moteurs
mal réglés) se trouvait emprisonné dans les profondeurs de la Terre depuis des
millions d'années. C'est donc celui-là, le "CO2 fossile"
qui aggrave, chaque année un peu plus, ce fameux effet de serre, contrairement
au "CO2 contemporain" que les végétaux recyclent sans
cesse.
Sur un plan écologique toujours, mais à propos des
autres polluants dégagés par les moteurs Diesel, les données sont encore assez
fragmentaires. Toutefois, il apparaît que les rejets en soufre, élément qui se
combine potentiellement à l'oxygène puis à l'eau pour contribuer aux pluies
acides, sont nuls avec l'huile brute de tournesol comme carburant. Les oxydes
d'azote, qui peuvent aussi être à l'origine de précipitations acides, semblent
être eux aussi diminués lors de l'usage de l'huile de tournesol.
Quant aux microparticules, leur émission peut être
réduite, comme cela se fait déjà sur les voitures roulant au gas-oil, par
l'installation de pots catalytiques. Il faut aussi noter que ce problème est
plus important en ville qu'en zone rurale où ce type de carburant est plus
susceptible d'être utilisé et où de plus les formations végétales,
essentiellement boisées, concourent certainement à retenir les particules comme
elles le font déjà pour les spores microscopiques des champignons pathogènes
des cultures.
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Sur
un plan zootechnique, la filière est également pourvue d'un grand intérêt :
celui de fournir des tourteaux gras (cf. supra), véritables coproduits
de la trituration des graines. Pourvus en acides aminés essentiels (lysine,
métionine, trypsine…) et très bien acceptés par les bovins notamment, ils
remplacent facilement les tourteaux de soja, sans être de plus, comme le sont
ces derniers, sujets à de fortes variations de prix. En outre, de tels circuits
courts seront plus à même de garantir l'absence de tournesol OGM quand il en
existera sur le marché, contrairement à ce qu'il se passe déjà aujourd'hui avec
le soja. Même si des éleveurs donnent maintenant à leur bétail, et sans aucun
problème, des tourteaux de tournesol en strict remplacement des tourteaux de
soja, donc sans avoir recalculé les rations, il peut être conseillé de
réajuster celles-ci en fonction des principales caractéristiques
nutritionnelles du tourteau de tournesol, teneurs en protéines et énergie
notamment (calcul simple et rapide que l'éleveur peut faire seul ou avec l'aide
d'un technicien).
·
Enfin,
sur un plan agronomique, la culture du tournesol présente le grand et double
avantage de ne nécessiter ni une couverture phytosanitaire ni une fertilisation
azotée importantes. En effet, il n'est que très rarement sujet aux attaques de
ravageurs comme les pucerons et très souvent l'arrivée spontanée de coccinelles
et autres auxiliaires règle naturellement le problème. La présence de mauvaises
herbes est par contre systématique, et si le recours aux herbicides est
aujourd'hui un quasi-automatisme, il ne faut pas oublier que le tournesol est
une plante sarclée que nos grands-parents paysans désherbaient mécaniquement à
l'aide d'un outil aratoire à dent ou à petit soc (ce qui de plus présentait
l'avantage de rompre la couche de remontée d'eau par capillarité pour limiter
son évaporation en surface du sol). Une pratique agronomique de base et
essentielle, qui a été trop longtemps négligée depuis l'accélération de la
"course au productivisme" dans les années 1960 à 1980 et que l'on
palliait grâce à un recours massif aux pesticides, est une rotation des
cultures longue (supérieure à 3 ans), équilibrée et judicieuse, incluant donc
des légumineuses. Une telle rotation permet d'une part de limiter
significativement l'impact de certaines maladies fongiques inféodées au
tournesol (comme le phomopsis et le sclérotinia qui sans cela doivent être
combattus à l'aide de produits phytosanitaires) et d'autre part de fournir
gratuitement au sol, donc aux cultures suivantes, de l'azote.
Pour être objectif, il faut aussi évoquer un
inconvénient de cette culture. Il s'agit du fait qu'elle expose grandement la
parcelle au risque d'érosion du sol en cas de pluies printanières fortes et
surtout d'orages. En sols argileux lourds, où le labour se fait dès l'automne,
le risque commence dès le début de l'hiver. Ce problème n'a pas encore été
réellement pris en compte par la profession agricole ni par les instituts de
développement et de recherche, mais des pistes prometteuses existent avec
notamment les techniques culturales simplifiées largement étudiées et déjà
utilisées (sur certains types de sols) pour la culture du maïs qui présente les
mêmes inconvénients. Une autre possibilité pourrait être le recours à une plante
de couverture, couvrant le sol en hiver et début printemps. Le trèfle
souterrain, d'origine méditerranéenne, largement étudié et utilisé dans cette
optique en Australie, présente l'avantage d'avoir un cycle végétatif inversé
par rapport aux cultures d'été puisqu'il réalise son cycle en hiver quand l'eau
est disponible, meurt à la fin du printemps juste après avoir enterré ses
graines (comme le fait l'arachide), et repart en automne à partir de celles-ci.
Il y a tout un programme agronomique à développer
sur cette plante, et sur les techniques qui permettraient de réduire l'érosion
des parcelles implantées en tournesol, comme la culture selon les courbes de
niveaux et non dans le sens de la pente.
Bonrepos-sur-Aussonnelle, le 01/11/2001
Jean-Pierre
SARTHOU