Cour
d'Appel d'AGEN
Audience
du 23 septembre 2002 14 h 00
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POUR: M. Alain JUSTE, né le 24 octobre 1989 à NANTERRE
(92), domicilié La
Tuquette, 47480 PONT
DU CASSE, cogérant de la société VALENERGOL,
M. Alain BEDOURET, né le 20
avril 1953 à AGEN (47), domicilié 2 avenue du
Maréchal Bugeaud,
47000 AGEN, cogérant de la société VALENERGOL,
Me G. BOULANGER BORDEAUX
CONTRE: M. le Directeur Général des Douanes et Droits Indirects
EN PRESENCE DU PARQUET
GENERAL
‑‑‑‑
o0o ‑‑‑
I ‑ FAITS ET PROCEDURE
M. Alain JUSTE et M. Alain BEDOURET sont cogérants de la
société VALENERGOL (valorisation énergétique des oléagineux), société installée
à PONT‑DU‑CASSE (47),
Cette entreprise, fondée en 1996, produit à titre
expérimental de l'huile végétale brute à partir de graines de tournesol et des
tourteaux gras à haute teneur en protéines destinée à l'alimentation du bétail,
L'huile ainsi produite a été par ailleurs utilisée pour la lubrification des moteurs et pour la
carburation dans les moteurs diesel à injonction directe,
Cette expérience, soutenue par de nombreux syndicats
agricoles, groupements écologiques et mouvements politiques, se poursuivait
paisiblement,
Cependant, le 26 février 1998, le Ministère de l'Economie
et des Finances, par l'intermédiaire des douanes, a engagé des poursuites à
l'encontre de la société susnommée, réclamant dans un cadre transactionnel, au
titre des années 1995, 1996 et 1997, la somme de 49.255,00 Frs de Taxes
Intérieures sur les Produits Pétroliers (TIPP),
Par
jugement en date du 18 octobre 2001, le Tribunal de Police d'AGEN a condamné
solidairement M. Alain JUSTE et M. Alain BEDOURET à une amende de 16.418,33 Frs
et à la somme de 16.418,33 Frs, outre les dépens,
In
limine litis, la procédure sera annulée.
Subsidiairement,
ce jugement sera réformé et les deux prévenus relaxés.
Avant
que M. JUSTE et M. BEDOURET ne soient traduits devant le Tribunal de céans,
l'administration douanière a établi un certain nombre de procès‑verbaux
qui violent la législation en la matière,
1) En effet, le procès‑verbal n° 1, du 26 février 1998, qui a pour objet
le contrôle des opérations sur les produits pétroliers et la demande de
communication de documents d'audition, met en cause la société VALENERGOL sise
« Artigues , 47510 FOULAYRONNES »,
Il est
mentionné que ce procès‑verbal a été rédigé à ARTIGUES, commune de
FOULAYRONNES (47510) alors que la rédaction s'est déroulée à ARTIGUES, commune
de PONT‑DU‑CASSE,
Le
procès‑verbal mentionne également que la personne en cause est la société
VANELERGOL, ARTIGUES, commune de FOULAYRONNES, alors que la société a toujours
été domiciliée à ARTIGUES, commune de PONT‑DU‑CASSE,
Par ailleurs, dans leur
rapport, les agents verbalisateurs mentionnent et certifient s'être rendus à
ARTIGUES, 47510 « dans les locaux de la société VALENERGOL »,
Cette information est inexacte
dans la mesure où les bureaux de la société se trouvent à ARTIGUES, commune du
PONT‑DU‑CASSE,
Or, l'article 334 du Code
des Douanes dispose: « ... ces procès‑verbaux (procès‑verbaux
de constat) énoncent la date et le lieu des contrôles et des enquêtes
effectuées ... » ,
Par ailleurs, l'article 338
du même Code dispose : « les tribunaux ne peuvent admettre contre les
procès‑verbaux de douanes d'autres nullités que celles résultant de
l'omission des formalités prescrites par les articles 323.1, 324 à 332, et 334
»
Les mentions obligatoires de l'article 334 n'ayant pas été respectées par les agents des douanes, la Cour ne pourra que constater la nullité du procès‑verbal n° 1 en date du 26 février 1998,
2) Le procès‑verbal
n° 2, du 27 mai 1998, n'est guère plus convaincant,
Il s'agit là d'un procès‑verbal
de notification de l'infraction qui met en cause la société VALENERGOL « SARL
La Tuquette, 47480 PONT‑DU‑CASSE »,
Ce procès‑verbal viole
totalement l'article 334.2 du Code des Douanes dans la mesure où il est
mentionné qu'il est intervenu le 27 mai 1998 à AGEN, alors que le contrôle
s'est en réalité déroulé, selon le procès‑verbal n° 1, le 26 février 1998
à ARTIGUES, commune de FOULAYRONNES (47510),
Le corps du rapport mentionne «
pour lui faire part des contrôles sur les bio‑carburants que nous avons
effectués le 26 février 1998 »,
Il en résulte que la date du
contrôle diffère totalement de la date de rédaction,
En outre, la personne mise en
cause est devenue « VALENERGOL SARL, La Tuquette, 47480 PONT‑DU‑CASSE
», alors que le procès‑verbal n° 1 visait expressément « la SARL
VALENERGOL, ARTIGUES, 47510 FOULAYRONNES ,
Plus encore, ce genre de
procédé semble totalement inapproprié pour notifier l'infraction dans la mesure
où les agents des douanes donnent prétendument des éléments de preuve après
avoir précisément notifié l'infraction,
Le contraire eût été
plus judicieux,
Au vu de tous ces éléments, la
procédure devra nécessairement être déclarée nulle compte tenu, à tout le
moins, du caractère erroné des informations qui sont portées sur les procès‑verbaux
susvisés, et ceci, en total violation des dispositions de l'article 334 sus‑énoncé,
3) Enfin,
à la lecture de la procédure, on constate également une ambiguïté tenant aux
articles visés par les procès‑verbaux et ceux visés par la citation à
solidairement responsables,
En effet, le procès‑verbal
n° 2, établi le 27 mai 1998, mentionne les articles 265 R, 267, 411 alinéas 1
et 2 du Code des Douanes (PV n° 2 folio 2),
Or, la citation à solidairement
responsables, établie le 14 février 2001, vise une contravention douanière «
prévue et punie par les articles 343, 377 bis, 265 ter, 267, 411, 406 et 407 du
Code des Douanes »,
Cette différence de. textes visés suffit à elle seule à entraîner la nullité
de la présente procédure pour vices de forme.
II ‑ DISCUSSION
1) LE CONTEXTE ECOLOGIQUE
Sanctionner la société
VALENERGOL reviendrait à empêcher ceux, qui par leurs efforts, contribuent à
protéger la nature,
En effet, la société doit
protéger son environnement et préserver la santé des individus qui la compose,
Elle devra également faire
face, à plus ou moins long terme, à l'épuisement plus que prévisible des
ressources non renouvelables telles le pétrole,
Tous les scientifiques
s'accordent à reconnaître que la tendance au réchauffement de l'atmosphère,
avec les graves conséquences que l'on connaît, est provoquée par l'émission
massive de C02,
Devant une telle situation, il
convient de renverser la tendance pour mettre en oeuvre des politiques de
développement d'énergies renouvelables plus respectueuses de la nature et
permettant ainsi une meilleure qualité de vie,
L'utilisation qui est faite de
l'huile végétale produite par société VALENERGOL va en ce sens,
Il est à remarquer que, depuis
quelques années, les pouvoirs publics ainsi que tous les partis politiques ont
semblé prendre conscience de la gravité du problème,
L'actuelle procédure fait craindre que cette prise de conscience publique ait une connotation fortement électoraliste,
Cependant, plusieurs
déclarations récentes tendent à encourager des sociétés comme la SARL
VALENERGOL dans leur démarche,
Ainsi, suite à un rapport
demandé par M. Jean GLAVANY, Ministre de l'Agriculture et de la Pêche, M.
Philippe DESMARESCAUX, directeur général de Rhône‑Poulenc, commentait en
1998 : « Outre les biocarburants, il est possible et intéressant de
développer des filières industrielles à partir des produits agricoles
transformés dans un but non alimentaire »,
Outre leur caractère
écologique, de tels procédés constituent pour les agriculteurs des débouchés
réalistes, rentables et pérennes,
Il résulte de l'ensemble des
éléments sus énoncés qu'un nombre croissant de responsables prenne conscience
de la nécessité de la production d'énergies de substitution,
Cette production, que l'on
retrouve très souvent dans des petites entreprises à caractère familial ou
agricole, doit pouvoir être exonérée d'une taxation excessive qui, à leur
niveau, les pénaliserait financièrement et les découragerait définitivement,
L'administration française ne
peut se permettre de tenir deux discours, à savoir : d'un côté, la
nécessité de préserver l'environnement et de l'autre côté, une taxation
excessive et parfois totalement injustifiée comme en l'espèce,
Cet argument de pur bon sens
suffirait à conduire la Cour à prononcer la relaxe de M. Alain JUSTE et M.
Alain BEDOURET, si les éléments de droit n'y menaient également.
2) LE DROIT APPLICABLE
a) les recommandations européennes
Sur le plan européen, la Commission
Européenne a pris des positions qui ne souffrent d'aucune ambiguïté,
En effet, depuis le début des
années 1990, la Commission, parmi d'autres initiatives visant à la promotion
des biocarburants, a présenté une proposition de directive du Conseil
concernant les taux d'accise applicables aux carburants pour moteurs d'origine
agricole (JO n° C 73 du 24.03.92, page 6) connue sous le nom de « proposition
SCRIVENER »,
La Commission a repris les
éléments essentiels de la proposition SCRIVENER dans sa nouvelle proposition de
directive restructurant le cadre communautaire de taxation des produits
énergétiques, proposition qui est à ce jour toujours en discussion,
En attendant que ces
discussions aboutissent, la Commission a proposé, dans son livre blanc sur les
énergies renouvelables (COM 97599 du 26.11.97) qu'une part de marché de 2 %
pour les biocarburants puisse encore être considérée comme une phase pilote et
que, par conséquent, les états membres intéressés accordent des exonérations
fiscales pour soutenir cette production,
De même, dans son livre vert «
énergie » vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement
énergétique, la Commission Européenne a préconisé des réductions fiscales,
C'est ce que recommandait
également la résolution du Conseil de l'Europe du 8 juin 1998 sur les sources
d'énergie renouvelables,
b) les exonérations dans le reste de l'Union
Ces différentes exonérations
sont d'ores et déjà pratiquées dans d'autres pays européens, notamment en
Allemagne et en Belgique,
Le 30 juin 1997, le Ministère
des Finances allemand a considéré l'emploi d'huile végétale comme carburant non
passible de taxe sur les huiles minérales et a été jusqu'à exonérer les
mélanges,
Le Ministère des Finances belge a également eu l'occasion de se prononcer sur un cas similaire en exonérant purement et simplement de toutes les taxes l'utilisation de l'huile de colza comme carburant,
c) le
droit européen
Le rapport d'information déposé
par la délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union Européenne et présenté
par M. François GUILLAUME, député, souligne la possibilité d'alléger la
fiscalité des biocarburants,
Cette possibilité est
d'ailleurs prévue par la directive n° 92/81/CE du 19.10.92 concernant
l'harmonisation des structures des droits d'accise sur les huiles minérales (JO
n° L 316 du 31.10.92, page 12),
L'article 2.1 de cette
directive donne la définition des huiles minérales soumises explicitement et
limitativement à accises par la directive 92/12/CEE,
Dans cette nomenclature,
l’huile de tournesol figure sous la référence NC 1512 tandis que huiles de
pétrole figurent sous la référence NC 2710,
La distinction en droit
européen entre huiles végétales et huiles minérales est tellement éclatante
qu'un certain nombre de textes postérieurs, non applicables, propose d'intégrer les premières dans le cadre
fiscal des secondes, ce qui prouve a contrario qu'elles n'y figurent toujours
pas :
‑ communication de la
commission COM (2001) 260,
‑ proposition de
directive du conseil COM (97) 30,
‑ proposition de
directive du conseil COM (2001) 547,
‑ proposition de
directive (2001/266 CNS),
L'article 8 de cette directive,
92/81/CEE du 19 .10.1992, autorise les états membres à appliquer des exemptions
ou des réductions partielles ou totales des accises sur les huiles minérales
utilisées dans le cadre de projets pilotes visant au développement
technologique de produits moins polluants, notamment en ce qui concerne les
combustibles provenant des ressources renouvelables,
Un autre article de la
directive susvisée offre la possibilité aux états membres d'alléger voire de
supprimer la fiscalité portant sur les biocarburants,
L'article 8‑1 de la
directive dispose que « le Conseil, statuant à l'unanimité sur la proposition
de la Commission, peut autoriser un état membre à introduire des exonérations
supplémentaires pour des raisons de politique spécifique »,
En outre, en ce qui concerne
les carburants, la proposition de la Commission restructurant le cadre
communautaire de taxation des produits énergétiques, adopté en 1997, permet aux
états membres d'appliquer des taux de taxation de l'énergie différenciée, selon la qualité des carburants, et ce
sans avoir besoin de l'approbation formelle de la Commission ni du Conseil,
Pour sa part, la France a
appliqué des exonérations de TIPP aux seuls esters méthyliques d’huiles
végétales (EMHV) et non aux huiles végétales brutes (HVB) comme le confirme la
lettre de la Direction Générale des Douanes du 29 avril 1998 à la société
VALENERGOL,
Toutefois, la décision 97/542
de la commission en date du 18 décembre 1996 condamne « les aides accordées en
France sous forme d'exonération fiscale au profit des seuls biocarburants
industriels comme illégales,
II résulte de l'ensemble de ces
textes européens que l'huile de tournesol, végétale, ne saurait être passible
d'une fiscalité concernant les seules huiles minérales,
d) le droit français
L'administration douanière réclame à la société
VALENERGOL une taxe intitulée «Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers (la TIPP) »,
Comme son nom l'indique, c'est une taxe qui porte sur les
produits pétroliers et non pas sur les huiles végétales,
Dans cette procédure, la SARL VALENERGOL vend de l'huile
de tournesol et non pas du carburant,
L'utilisation
qui en est faite après vente est totalement indépendante de la qualité du
produit,
Or, si l'on suit le raisonnement de l'administration des
douanes, il faudrait taxer la société poursuivie sur le seul fait que l'huile
de tournesol qu'elle commercialise est utilisée, ou en tout cas utilisable,
comme carburant,
Dans cette hypothèse, l'administration fiscale devra
taxer toutes les huileries de France car toutes ces sociétés fabriquent
potentiellement de l'huile utilisable comme carburant,
Ce n'est pas le cas, de sorte
que si, par extraordinaire, la société VALENERGOL devait être condamnée, la
décision aboutirait à une rupture du
principe d'égalité devant la loi fiscale, ce qui est contraire à la
Constitution de la République,
En outre, la démarche qui
consiste à taxer les fabriques d'huile reviendrait à créer un nouvel impôt sur
les huiles, pouvoir dont seul le législateur dispose,
L'utilisation d'huile de
tournesol ne peut être assujettie à la TIPP,
Le Ministère de l'Economie, des
Finances et de l'Industrie évoque, dans ses conclusions, l'article 265 ter du
Code des Douanes stipulant que « sont interdites l'utilisation à la
carburation, la vente ou la mise en vente pour la carburation des produits dont
l'utilisation et la vente pour cet usage n'ont pas été spécialement autorisées
par des arrêtés du Ministre du Budget et du Ministre de l'Industrie » ,
En fait, l'administration
fiscale joue sur la confusion entre l'article 265 ter et l'article 265‑3,
ce dernier étant seul fidèle à l'article 2‑3 de la directive européenne
92/81/CEE,
Or, consciente de la non
conformité de l'article 265 ter au droit européen, la Direction des Douanes a
supprimé toute référence à l'article 265 ter dans son bulletin officiel n° 6458
du 2 octobre 2000,
D'ailleurs, tant l'arrêté du
1er mars 1976, que l'arrêté du 22 décembre 1978, que le tableau B annexé à
l'article 265 du Code des Douanes, ne parlent que de « produits pétroliers »,
De même, les articles 265‑1
et 3, 265 b, 265 bis, 265 ter et 265 quinquies, parlent indifféremment d'huiles
minérales, de produits, d'hydrocarbures ou de produits pétroliers, excluant
implicitement toute application de la TIPP à des huiles végétales,
Par ailleurs, l'article 6 de la
directive 92/12/CEE, de même que l'article 266 ter stipulent que l'accise est «
exigible lors de la mise à la consommation », alors que MM JUSTE et
BEDOURET sont poursuivis pour la
production et non pour la vente d'huile de tournesol,
Il est donc clair que
les poursuites engagées souffrent d'un défaut de base légale,
L'acharnement de la Direction
des Douanes ne se justifie donc pas par des raisons juridiques mais par des
motivations économiques,
En effet, les grandes sociétés productrices de pétrole se
sont toujours montrées farouchement opposées au développement de solutions de
substitutions plus propres, moins chers et plus favorables à la nature,
Se sentant en danger, elles appellent systématiquement
l'Etat au secours pour casser ces expériences de micro économie pourtant
porteuses d'avenir,
Le combat en l'espèce est totalement inégal dans la
mesure où de petites sociétés telles VALENERGOL ne peuvent affronter des
décisions inspirées par de grandes sociétés souvent en situation de quasi‑monopole,
La Justice ne saurait se faire l'auxiliaire de poursuites
dictées à une administration douanière manifestement sous influence par un
souci d'intimidation,
PAR CES MOTIFS PLAISE A LA COUR
D'AGEN
1) SUR LA FORME, AVANT TOUTE DISCUSSION
Constatant les
irrégularités formelles,
Déclarer nulle la
présente procédure,
SUR LE FOND
Dire et juger que
l'huile de tournesol n'est pas un produit pétrolier,
En conséquence,
réformant le jugement entrepris,
Relaxer M. Alain JUSTE et M. Alain BEDOURET de toutes les
poursuites.
SOUS
TOUTES RESERVES ‑ DONT ACTE